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Le pyromane peut revêtir n'importe quelle personnalité

Le pyromane peut revêtir n'importe quelle personnalité

     La nouvelle a fait le tour du village, le père Pothuy a un fils. Il était temps, après avoir eu sept filles. C’est le leitmotiv de tous les hommes qui veulent perdurer leur lignée. Faire que leur nom, leur sang demeurent dans les générations suivantes. Le père Pothuy est tellement heureux, qu’il offre à boire à tous ceux qu’il croise dans le bar où il a l’habitude d’étancher sa soif, même aux gens de passage qu’il n’a jamais vu. Son p’tit gars comme il dit, le mâle de la famille qu’il a prénommé Gilles ; c’était il y a vingt ans maintenant. Aujourd’hui les désillusions ont fait place à la peur, les déceptions ont fait place à l’angoisse. Le p’tit gars a des lacunes pour lire et pour écrire et s’est fait martyriser par ses camarades de classe depuis la maternelle, allant de bagarre en bagarre et aux beaux jours préférant l’école buissonnière aux cours élémentaires. N’étant pas très futé, il a trouvé du travail comme cantonnier dans la commune qui l’a vu naître. Ce qu’il a perdu en facultés, il l’a gagné en musculation, un véritable Hercule des temps modernes et aussi un véritable démon. Les dieux sont impitoyables avec leurs brebis ; le jour de chaque naissance que dieu fait, la mort est déjà à ses trousses et trouve n’importe quel prétexte pour le faire trébucher.

 

     C’est arrivé un jour, comme ça, sans prévenir, par un bel après-midi ensoleillé. Un parfum de glycine régnait dans la rue et les gens sortant de déjeuner, piétinaient à moitié dans les bras de Morphée pour rejoindre leurs labeurs. Gilles a agi sous l’impulsion en improvisant. Il a coincé Mathilde dans le coin de la rue, juste devant le salon de coiffure ou elle travaille. Mathilde sent la peur envahir son corps de jeune femme. Garçon imposant, Gilles regarde du haut de son mètre quatre-vingt-quinze, cette jeune femme frêle qui sert tout contre elle son sac à main, pensant lui servir de barrière en étant parée d’une protection invisible. Elle se demande comment elle en est arrivée à ce point, alors que deux jours plutôt, Mathilde avait trouvé en ce grand gaillard une épaule sur laquelle s’appuyer, lors d’une soirée arrosée. Aujourd’hui, il la persécute, au téléphone, la suivant partout, le retrouvant devant chez elle. Le matin même, Mathilde avait dû, à contre cœur, prévenir les gendarmes pour qu’il cesse de la poursuivre.

- Mais mademoiselle, je ne comprends pas, que vous a-t-il fait ?...

Mathilde a raccroché, sans leur avoir dit ce qu’elle pensait, sachant au son de la voix du gendarme, qu’il ne lèverait pas le petit doigt pour lui venir en aide. Sentant le mépris au ton du brigadier, Mathilde l’entendait d’ici railler sur elle.

- Toutes ses filles devraient arrêter d’aguicher les mecs comme elles le font, avec leurs accoutrements vulgaires et leurs jupes à ras la touffe, elles les excitent et elles s’étonnent après que les mecs les harcèlent pour leur en demander un peu plus, alors voilà ça joue les filles de l’air et après, qui c’est qu’on appelle ? la gendarmerie, comme si on avait que ça à faire.

Pathétique.

     Mathilde est consciente de la tournure qu’avait pris cette foutue soirée ; enfin après. Parce que sur le coup, elle avait trouvé en ce garçon une oreille attentive, Gilles paraissait gentil, attentionné et elle, un peu trop ivre. Si elle avait su que ce grand benêt ne comprenait pas les trois quart de ce qu’elle disait, elle se serait bien abstenue de coucher avec lui. Gilles à ce moment-là, buvait ses paroles, lui caressant la main délicatement, lui essuyant les larmes qui coulaient le long de ses joues, l’embrassant sur le front sans jamais essayer d’aller plus loin ; et Mathilde continuait de s’épancher sur l’épaule de Gilles. Mathilde sentait que son compagnon de soirée était bien bâti en se disant qu’elle en ferait bien son parti. Alors, Mathilde cesse de parler et entreprend de se rapprocher de son interlocuteur, parce que ce soir Mathilde n’est pas bien, parce que ce soir Mathilde a besoin d’amour et que son compagnon de soirée a l’air tout disposé pour lui en procurer. Ça s’est passé, là, en bas, dans le fourré à l’abri des regards indiscrets. Mathilde a relevé sa petite jupe, a enlevé sa petite culotte, a déboutonné le jean’s de Gilles, qui se laisse faire sans rien dire, et s’est empalée sur sa hampe. L’acte ne dure que quelques minutes et elle jouit rapidement, Gilles aussi. Mathilde a fait l’amour à un pur inconnu et Gilles ; et bien Gilles est enfin dépucelé. Mathilde rejoint la soirée, un peu honteuse, en réajustant sa tenue ainsi que sa coiffure pendant que Gilles reste dans le fourré avec les effluves de parfum de la jeune femme plein le nez et les images encore vives de Mathilde se dandinant sur son sexe en ayant les seins de la jeune femme dans le creux des mains.

 

     Maintenant il se trouve là, planté devant elle et Mathilde le trouve beaucoup moins charmant, beaucoup moins attirant que l’autre soir. Gilles la toise de toute sa taille avec un sourire vicieux, elle si frêle et si menue, reste prostrée devant le gaillard.

- Ecoute, il faut que tu me laisse maintenant, tu comprends ?

Gilles continue de la regarder fixement sans dire un mot. Mathilde n’a aucune échappatoire, tant le colosse lui impose sa domination, pourtant si proche de son lieu de travail et pourtant si loin.

- Pourquoi tu veux plus me voir ?

- Mais parce qu’on ne se connaît pas et que tu ne m’intéresses pas !

A ces mots, Mathilde comprend en avoir trop dit et se mord l’intérieur de la joue, un peu tard. S’attendant à recevoir les foudres de Gilles, Mathilde ferme les yeux en rentrant la tête dans les épaules.

- Mais ! je croyais qu’avec c’qu’on a fait l’aut’soir, que ça comptait pour toi !

- Ce n’était qu’une faiblesse de ma part, tu es un garçon gentil, n’est-ce pas ! et l’autre soir j’avais envie de tendresse et comme tu étais là et bien, voilà quoi. Ça ne t’a pas fait plaisir ?

- Et ben si quoi ! et maintenant, ben c’est comme si on était ensemble.

- Non pas du tout.

Gilles fronce les sourcils et commence à claquer les doigts de la main droite entre le pouce et le majeur : clac, clac, clac, clac…

- Il faut absolument que j’aille travailler, sinon, Mathilde cherche une excuse, mon patron sera fâché et il risque de me licencier.

- Je m’en fous, je veux qu’on continue de se voir.

- Mais on ne s’est jamais vu ! Il y a deux jours je ne te connaissais même pas !

- Moi si, j’te vois souvent avec d’aut’filles ou d’aut’garçons, traîner du côté de la place ou du côté du cinéma et je te trouvais déjà jolie.

- C’est gentil, mais maintenant il faut me laisser.

- Nan.

Gilles continue de claquer ses doigts: clac, clac, clac, clac…une odeur de chaud se fait sentir autour d’eux.

- C’est quoi cette odeur ? Demande Mathilde.

- C’est rien, c’n’est qu’ça.

     Gilles lève sa main droite entre eux deux, tout en continuant de claquer des doigts, clac, clac, clac, clac…et à chaque claquement une légère fumée s’échappe, clac, clac, clac, clac…puis une légère flammèche, comme si quelqu’un jouait avec un briquet en donnant une impulsion sur la pierre et laissant échapper une unique petite flamme. Cette flammèche finit par devenir une petite flamme.

- Mais arrête, tu commences par me foutre la trouille, crie Mathilde

- Alors ! on va continuer à s’voir ?

- Si…si tu veux, mais arrête ça tout de suite.

Après la peur, Mathilde sent la panique la gagner et commence par pleurer. Gilles approche sa main gauche du visage de la jeune femme.

- Ne pleure pas, attends, j’vais t’essuyer.

Mathilde recule au contact des doigts sur sa joue.

- Pourquoi tu recules…

Le patron de Mathilde sort du salon quand il reconnaît la jeune fille qui hausse le ton.

- Quelque chose ne va pas ? Demande-t-il

- Nan, tout va bien j’discute avec ma femme, répond Gilles.

- Votre femme, ricane le patron de la jeune femme, Mathilde n’est pas…

Il s’interrompt en voyant Mathilde faire non de la tête en faisant de grands yeux.

- Je vois, excusez-moi de m’être mêlé de ce qui ne me regarde pas, Mathilde ! Madame Baladier attend pour sa couleur.

- J’arrive dans un petit instant, dit-elle en essayant de garder la maîtrise de sa voix.

Le patron de Mathilde se précipite sur le téléphone et appelle la gendarmerie, qui arrive sur place en moins de cinq minutes, toute sirène hurlante. Gilles est surpris de tout se dérangement pour une simple explication avec Mathilde, se mettant devant la jeune femme afin de la protéger. Gilles avait cessé de claquer ses doigts en voulant essuyer les larmes de Mathilde et malgré les protestations de refus de la jeune femme, Gilles l’avait bloquée d’une main puissante et essuyait les larmes avec un mouchoir tiré du fond de sa poche. Mathilde se débattait du mieux possible entravée par cette main puissante et pourtant si douce l’autre soir. Devant l’imposante stature de Gilles, les gendarmes préfèrent appeler du renfort avant de commencer toute interpellation.

- Monsieur, voulez-vous vous éloigner de la jeune fille, demande un gendarme préposé aux négociations.

- Pourquoi faire !

- Pour que nous puissions dire quelques mots à la jeune fille qui se trouve derrière vous.

Gille recommence à claquer ses doigts dans son dos à la grande stupeur de Mathilde.

- Pourquoi faire !

- Et bien nous voulons voir tout d’abord si cette jeune femme se porte bien.

- Et après vous allez m’emmener !

- Euh, non ! pas du tout, nous allons discuter dans un premier temps.

- Elle, elle veut pas discuter avec moi et moi j’chuis triste qu’elle veuille pas, moi…moi j’veux juste qu’on soit ensemble, c’est tout.

- D’accord je comprends, mais d’abord laissez nous lui parler.

- Nan, j’chuis pas d’accord. 

Et pourquoi ?

     Gilles paraît surpris par la réponse et réfléchit longuement. Des renforts arrivent en se plaçant sur le côté afin d’empêcher le personnage de faire des bêtises ou pour l’appréhender. Mathilde fait des signes à ces derniers, leur montrant les mains de Gilles.

- Parc’que…j’chuis pas d’accord…d’la façon…que vous pratiquez, et pis d’abord, n’approchez pas…parc’que j’chuis un…un pyromane du feu. Tout fier d’avoir pu sortir un mot tel que ‘‘pyromane’’ dans une phrase.

     Certains gendarmes rirent aux déclarations de Gilles et d’autres commençaient à se poser des questions. Une porte s’ouvre derrière Mathilde et le patron de la jeune femme apparaît à peine à deux mètres d’elle. Il tend un bras en prenant appui avec une jambe sur le trottoir et en se tenant au bâti de la porte. Attrapant une main de Mathilde en l’obligeant à reculer doucement, très doucement, jusqu'à ce que celle-ci disparaisse dans l’ouverture, laissant Gilles tout seul. Les gendarmes se mettent en ordre pour appréhender Gilles, ce dernier recule pensant pousser Mathilde se trouvant derrière lui, sans la sentir. Gilles se retourne vivement sur un coin de rue vide ; son amour a disparu. D’abord affolé, il cherche Mathilde de tout côté, puis la colère le submerge.

- Où est ma femme ? qu’est-c’que vous avez fait à ma femme ? hurle-t-il.

     Gilles est de plus en plus en colère et claque frénétiquement des doigts avec les deux mains, CLAC, CLAC, CLAC, CLAC…des petites flammes s’échappent de ses doigts et malgré sa colère, Gilles garde son sang-froid en concentrant la flamme dans le creux de ses mains quand deux gendarmes s’approchent de lui. Les deux gendarmes se précipitent sur Gilles, qui, en leur touchant simplement le bras, s’embrasent aussitôt. Les deux gendarmes tombent à la renverse essayant de rejoindre leurs collègues tout en tentant de retirer leurs blousons. Gilles se rappelle comment ses sœurs rampaient de la même façon devant leur patriarche quand il s’adonnait à son sport favori et il ne veut en aucun cas lui ressembler.

 

     Gilles aimait particulièrement son père. Son père quant à lui avait une façon bien particulière de lui prouver son amour. Surtout quand il rentrait certain soir complètement saoul et pour se défouler, mettait des raclées à ses enfants et à sa femme. Il ne faut pas lui en vouloir, diront certains, le père Pothuy avait mis tous ces espoirs en Gilles, il en ferait quelqu’un quand il sera grand. Le corps et surtout le cerveau de Gilles en avait décidé autrement en étant un peu lent ; lent pour apprendre, lent pour faire des choses, lent pour comprendre. Gilles était devenu la risée de ses petits camarades de classe et de certains ados qui le chahutaient. Un soir, le père Pothuy rentrant un peu plus saoul que d’habitude, un peu plus remonté que d’habitude, d’entendre que son fils serait un bon à rien et bien d’autres choses sur son compte, le père Pothuy avait frappé Gilles pour ces raisons, si ‘‘serait un bon à rien’’ est une raison valable ; parce qu’il n’y a pas de raison valable pour frapper un enfant, même lent. Le père Pothuy a frappé le pauvre gamin jusqu’à ce qu’il tombe dans les pommes, emmené d’urgence à l’hôpital, pour s’avérer qu’il se trouve dans le coma alors qu’il n’avait pas neuf ans, restant coincé entre deux mondes pendant près de quinze jours ; désormais l’avenir de Gilles est assigné à résidence pour le reste de sa vie. A son réveil il n’était plus le même en ayant des cases en moins, comme disent les aides-soignantes et les infirmières de l’hôpital, problème d’élocution, problème de concentration, problème de tout en étant encore un peu plus lent. Grâce à son père, malgré qu’il ait cogné si fort, le cerveau et le corps de Gilles ont généré une nouvelle faculté, qu’il n’aurait certainement jamais dû avoir, si tous ces événements n’étaient pas survenus. Il était capable de générer le feu simplement en frottant ses mains ou ses doigts les uns contre les autres. Gilles pouvait allumer la cheminée d’un simple claquement de doigt ainsi que la cuisinière. Gilles pouvait soulager les douleurs de sa mère en frottant ses mains quelques instants et en les appliquant sur les parties concernées. Quant à son père, il a purgé sa peine de prison et maintenant que son fiston est devenu un grand gaillard bien charpenté, personne dans le village n’a jamais revu le père Pothuy.

 

     Actuellement, devant tous ces gendarmes, Gilles a la sensation de faire une grosse bêtise, qu’il a été trop loin dans ses actes. Il est conscient d’avoir entre les mains une arme redoutable et qu’à la vue de ces deux gendarmes apeurés, il ne veuille d’une telle vie. Souffrant déjà de l’exclusion, Gilles ne veut pas finir comme un paria. Il est conscient que son avenir n’est pas brillant et si les gendarmes le mettent en prison, ils le priveront de ce qu’il lui reste le plus cher : la liberté. Depuis vingt ans, les gens s’acharnent sur lui. Petit, les gamins de son âge le bousculaient ou l’insultaient, maintenant tout le monde le craint et continue de l’injurier. Comprenant qu’il n’a plus le choix, Gilles se redresse faisant face aux gendarmes, faisant face au monde. Seul dans ce coin de rue, il se met à frotter ses mains frénétiquement en crispant sa mâchoire, les forces de l’ordre reculent de quelques mètres en restant sur le qui-vive. Deux boules de feu dansent dans le creux des mains de Gilles et dans un sourire de satisfaction, écrase ses deux mains sur sa poitrine en frottant fébrilement son torse pour accentuer les flammes. La propagation est rapide et les flammes le dévorent en quelques minutes.

     Gilles s’est immolé par un après-midi ensoleillé, au coin d’une rue, devant une bonne quarantaine de personnes, qui n’ont pas compris le geste désespéré de ce pauvre garçon. Lui qui voulait juste qu’on le regarde, comme l’a regardé Mathilde un soir dans les fourrés. Mathilde le nez collé sur la vitrine du salon de coiffure, hurlant qu’on fasse quelque chose et pleurant toutes les larmes de son corps. Gilles met un genou à terre, la progression des flammes est véloce et les gendarmes n’ont pas le temps nécessaire pour réagir, quand ils se précipitent sur le pauvre garçon, convoyé de couverture et d’un extincteur, il est trop tard, Gilles est déjà mort sans un cri, dans une vilaine odeur de barbecue et de cochon grillé.

     Le dernier visage que voit Gilles, est celui de Mathilde lui souriant, les deux mains sur la devanture du salon de coiffure. Ce visage qui illuminera son éden pour le reste de l’éternité.

 

Liancourt Saint-Pierre

Yanic Dubourg

 3 juin 2013

Tag(s) : #Extrait de livre, #au-delà des contrées, #nouvelles, #Fantastique
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