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Voici un extrait du recueil de 15 nouvelles "Au-delà des contrées", 15 nouvelles mélangeants fantastique et fantasy. Nous allons commencer par "Le vieil homme et le platane" dont j'ai changé le titre par " Retour aux sources". Cette histoire a été écrite pour le concours de nouvelle organisé par le salon du livre de Chaumont en Vexin en mai 2013 (où j'ai fini deuxième). Bonne lecture et si vous êtes sage, il y en aura d'autre.

     Maurice est arrivé à Chaumont en Vexin par le train en provenance de Paris, accompagné de son petit-fils. Auparavant ils étaient arrivés par le TGV à la gare d’Austerlitz, périple de plusieurs heures pour aller voir une dernière fois un vieux camarade. Ils descendent sur le quai pour prendre un taxi qui les emmène à ‘‘La Grange de Saint Nicolas’’, ou ils vont passer quelques jours. Maurice est veuf depuis quelque mois et il a décidé de venir en pèlerinage dans la petite ville où il est né ; il y a plus de quatre-vingt-dix ans. Chaumont n’a pas beaucoup changé, à moins que ce ne soit sa mémoire qui lui joue des tours, souhaitant plus que tout qu’elle reste comme il l’imaginait. Ce sont toujours les mêmes rues de son enfance, à part quelques bâtiments qui se sont refait une beauté, le centre de Chaumont n’a pas beaucoup changé. ‘‘La Grange de Saint Nicolas’’ se trouve en face d’une ruelle qui mène à la place de la Foulerie, là ou Maurice a rendez-vous avec son vieux camarade qu’il peut apercevoir de l’hôtel. A son âge, même s’il a hâte, Maurice prend son temps en ayant d’autres priorités, après un déjeuner copieux et une petite sieste, les deux hommes vont marcher dans les rues de Chaumont, Maurice se souvient qu’il y avait l’école des filles sur la place et qu’il venait souvent avec d’autres copains, quand ils faisaient l’école buissonnière, taquiner les jeunes filles. Maurice sourit en repensant à de vieilles anecdotes et à son copain Pierre avec qui, il a fait les quatre cents coups, ses premières bêtises, ses premières cuites, ses premières rencontres, celui qui lui a présenté Madeleine, qui deviendra sa femme et qui le restera pendant soixante-douze ans. Ensuite il y a eu cette foutue guerre qui lui a pris son copain Pierre en quarante-quatre, quelque semaine avant la fin de la guerre, alors qu’ils patrouillaient dans les rues et les décombres de Beauvais, Pierre est mort dans ses bras abattu par un sale boche ; un sniper. C’est pour cette raison, entre autre, qu’il est parti de la commune, pour ne pas vivre avec le souvenir de Pierre à chaque coin de rue.

Depuis qu’ils sont sortis de l’hôtel, Maurice ne dit pas un mot, restant prostré dans un silence grave, dans le recueillement, lui pourtant si bavard et son petit-fils n’ose pas rompre le silence. Ils avançaient à petits pas, profitant de cet après-midi ensoleillé, surtout parce qu’il n’avait plus ses jambes de vingt ans, et se rapprochait doucement de son vieux camarade, majestueux comme auparavant. Maurice arrive sur la place de la foulerie inondée de soleil qui est occupée par des enfants et des parents qui jouent dans l’herbe.

  • Laisse-moi tu veux ! dit Maurice à son petit-fils
  • Tu es sûr de vouloir rester tout seul ?
  • Oui, ne t’inquiète pas, ça va aller. Maurice sort un téléphone portable de sa poche, je t’appelle si j’ai besoin ; il faut vivre avec son temps.

La municipalité a enjolivé le platane en plantant une petite bordure de haies tout autour de l’arbre en laissant, ou alors ce sont les gens et les enfants qui l’ont créé, un passage pour accéder au vieux platane, il n’a plus ses branches basses, ce qui n’enlève rien de sa prestance, ils ont même installé une clôture le long du trottoir avec une chaîne soutenue par quelques piquets à la façon d’une guirlande. Maurice fait le tour de l’arbre la tête en l’air en s’imprégnant des arômes et de l’atmosphère qui se dégage du lieu et se dit qu’il est encore plus beau que dans ses souvenirs, puis il pose sa canne au sol et enserre le tronc de ses bras en posant une joue contre l’écorce.

Le temps reste suspendu quelques dixièmes de secondes, perceptible par toutes les personnes se trouvant dans le parc. Parents, enfants et badauds, cessent leurs activités quand le grand platane se met à trembler de toutes ses branches, de toutes ses feuilles ; de tout son être.

  • Oh ! comme tu m’as manqué mon vieil ami ! dit Maurice

C’est une journée printanière agréable, ni trop chaude, ni trop froide, sans le moindre vent. Les gens présents dans le parc profitent de ce mercredi pour sortir les enfants au grand air, le printemps est déjà bien installé, les fleurs éclatent leurs couleurs à la face du monde et les bourgeons ont explosé pour exposer leurs belles feuilles vertes au soleil généreux, tout cet étalage philanthropique est un juste prélude des grandes vacances. Malgré tout le vieux platane continue de trembler et de se bercer comme par grand vent. Quelques personnes s’approchent du vieux platane apercevant le vieil homme enlaçant le tronc de l’arbre et se trouvent attendris devant tant d’émotion en assistant à une scène hors du commun. Ils retiennent leur respiration, ne faisant aucun bruit de peur de rompre le charme, laissant la magie opérer. Le vieil homme reste dans cette position un long, très long moment, bien après que le platane cesse de trembler, ne tournant la tête simplement pour poser son autre joue.

  • Comment tu vas ? demande Maurice, j’ai beaucoup pensé à toi tu sais, maintenant je suis fatigué, vieux et fatigué ; tu parles d’un concept.  

Maurice parle à voix haute, sans se rendre compte des gens se sont regroupés autour de lui et du platane, que quelques badauds photographient, certains d’entre eux ressentent l’énergie dégagée par les deux protagonistes ; sûrement des bobos écolos, comme aimait dire sa femme Madeleine. La nuit est proche quand Maurice se détache du tronc en le caressant, faisant frémir les feuilles de l’arbre.

  • Je reviens plus tard, il faut que je me restaure, nous avons tant de chose à nous dire.

Maurice rejoint son petit-fils à ‘‘La Grange de Saint Nicolas’’ pour dîner.

  • Est-ce que tu pourras me mettre une chaise sous le platane.
  • Bien sûr, tu veux que je te l’apporte quand ?
  • Ce soir, après le souper !
  • D’accord grand-père, pas de problème, je m’en charge.

Maurice rejoint le platane à la lueur des réverbères. Il met une main sur le tronc en souriant et se vautre plus qu’il ne s’assoit dans la chaise pliable mis à disposition par son petit-fils qui a eu la bonne idée de laisser un plaid plié dessus.

  • Je radote, mon ami, sûrement à cause de mon âge, et je te le redis, tu m’as manqué, ça fait combien de temps…soixante, soixante-cinq ans ! ça fait tellement longtemps. Je voulais venir te voir bien avant, mais tu sais ce que c’est, la vie…dernièrement j’ai ressenti l’envie de venir te revoir une dernière fois, les choses sans Madeleine ne seront plus comme avant et je n’ai pas envie d’être une charge pour qui que ce soit, mais avant tout il fallait que je revienne, tu comprends ?

Maurice s’endort sur cette chaise pourtant fort peu confortable, harassé par le voyage en train ainsi que l’excitation de revoir son vieil ami. Le platane est parcouru d’un frisson jusque dans les bouts de ses branches.

  • J’ai vu la vie autour de moi, j’ai vu aussi la mort malheureusement, j’ai même servi de potence pour certain, j’ai assisté à des fêtes extraordinaires, j’ai vu le changement, j’ai vu le modernisme croître, j’ai vu tant de choses depuis que ton arrière-grand-père m’a mis en terre avec l’aide de ton grand-père. Aujourd’hui tout le monde passe à côté de moi sans me voir, je sers même d’urinoir aux chiens et parfois à quelques hommes, il y en a même certains qui m’ont fait des scarifications sans mon consentement qui me laisse comme des vilains tatouages, d’autres qui éteignent leurs cigarettes sur moi, comme si j’étais un vulgaire cendrier, pendant certains conflits j’ai même pris des balles qui sont entrées profondément en moi. Depuis longtemps je sers de refuge pour quelques animaux égarés, je sers aussi de nichoir pour des générations d’oiseaux et toi, toi mon ami, mon frère, tu étais où durant toutes ses années sans me donner de nouvelles, tu savais pourtant où me trouver, je me rappelle quand tu venais me voir avec tes enfants et ensuite les enfants de tes enfants, jusqu’à ce que tu viennes, quand tu me parlais, quand tu me soignais, quand tu m’enlaçais avec tes bras même si tu ne parvenais pas à faire le tour comme aujourd’hui, je me suis inquiété pour toi et les tiens. Maintenant je sers de décors sur cette place ou je me sens bien seul. Le soir, je fais office de point de ralliement pour toutes sortes de rencontres pas toujours rassurantes ; tu sais j’en aurais à dire sur ce que j’ai vu et ce que j’ai entendu, il y a même des gens qui se sont confiés.

Maurice se réveille en sursaut avec la tête de quelqu’un qui sort d’un mauvais rêve.

  • Je sais que tu es en colère et qu’elle est justifiée, mais pour l’heure je vais me coucher, il se fait tard, à demain mon vieil ami.

Le platane acquiesce en laissant tomber quelques feuilles aux pieds de Maurice en guise de larmes.

  • Pourras-tu me pardonner de t’avoir abandonné comme ça ?

Maurice repart d’un pas tranquille vers ‘‘La Grange de Saint Nicolas’’ las et fatigué d’une vie trop longue.

Le lendemain, Maurice renvoie son petit-fils sur la capitale pour s’occuper de son travail, son petit-fils ayant profité du voyage pour prendre des rendez-vous professionnel durant le séjour de son grand-père. Livré à lui-même, Maurice en profite de son côté pour revoir quelques coins de Chaumont en Vexin et ses alentours, l’endroit où il est né (la maison familiale), son école dans la cour de la maire, l’église dont l’ascension lui rappelle combien il est difficile de s’octroyer les faveurs du Seigneur où il a été baptisé, où il s’est marié, où il a baptisé ses enfants et où il a enterré son copain Pierre, il rend visite à une jeune sœur de Madeleine ; une demi-sœur, de quinze ans sa cadette à  la maison de retraite de la Compassion, dont l’état de santé décline jour après jour rattrapé par la maladie d’Alzheimer ; durant la visite, elle ne reconnaît pas Maurice. Très secoué par cette rencontre, il va chercher du réconfort au pied du vieil arbre. Le jour d’après, il pousse la promenade jusqu’au cimetière revoir la sépulture de son copain Pierre et d’autres connaissances enterrées là, s’asseyant sur un banc à l’ombre d’un tilleul, se remémorant les quelques noms qu’il avait retrouvés. Il se promène durant plusieurs jours sans oublier de venir voir son vieil ami régulièrement. Durant son pèlerinage, il se demande si le fait de revenir, a été si philanthropique que ça, réveiller des vieux souvenir n’est pas un acte anodin et peut vous plonger dans une certaine mélancolie, les quelques mois sans Madeleine lui paraissent une éternité et maintenant il a hâte de la rejoindre. Cela fait presqu’une semaine que son petit-fils est parti sur la capitale et il est grand temps de partir, il ne sera pas là avant le lendemain et s’occupera de régler les formalités de l’hôtel et de tout le reste. Après un dîner copieux, seul entorse qu’il se permet dans sa ligne de conduite de retraité, qui est de bien manger, Maurice rejoint le grand Platane, peut-être encore plus vert, plus beau, plus majestueux que d’habitude. Le jour n’a pas encore capitulé et Maurice en profite pour flâner le long des habitations qui mènent au parc de la Foulerie. Il fait le tour du tronc caressant l’écorce presque lisse et vient s’assoir sur la chaise pliante.

  • Tu sais, je regrette souvent d’être parti, mais c’était la seule option qui me venait à cette époque, vivre ici avec le souvenir de Pierre n’aurait pas été possible. Tu sais, quand il est mort je suis persuadé que le tueur a  hésité entre Pierre et moi, pourquoi a-t-il choisi Pierre ? je crois que je ne le saurai jamais.
  • Ce n’est pas une raison pour être parti. Nous aurions pu trouver une solution, maintenant je ne connaîtrais jamais tes enfants, ni les enfants de tes enfants.
  • Oui je sais, peut-être que mon petit-fils viendra en pèlerinage de temps en temps avec, pourquoi pas, ses fils. Tu sais que je suis arrière-grand-père et que la famille continue de s’agrandir ; oh ! Madeleine aurait tant aimé.
  • Je me souviens de Madeleine, je me souviens aussi quand vous veniez contre moi, tes premiers émois, tes premiers…
  • S’il te plaît, arrête.
  • Et maintenant, que comptes-tu faire ?
  • Pour l’instant je vais me contenter de rester avec toi, je ne peux pas rattraper le temps perdu, mais c’est toujours ça de gagné et demain…et bien demain est un autre jour.

Maurice sent la fatigue le submerger, il s’installe dans la chaise en s’enroulant dans le plaid pour se protéger de la nuit encore fraîche. Dans le courant de la soirée les gens, encore éveillés, ont aperçu une grosse lumière émaner du platane. Certains disent qu’ils ont vu un grand flash, d’autres, peut-être des gens très fatigués qui sortent des bars, ont vu quelque chose tomber du ciel et ce n’était pas une météorite, ou encore que le ciel s’est embrasé grâce à une opération divine. Il est incroyable de constater que des gens, pour la plupart bien sous tous rapports, peuvent détourner une information, sans même y avoir participé ou même la voir. Tous ces témoins sont quand même unanimes, la chose s’est produite sur la place de la Foulerie. Suite à ce phénomène les gendarmes ont retrouvé la chaise et le plaid sans aucune trace de Maurice, ‘‘La Grange de Saint Nicolas’’ n’a pas noté l’heure de son retour et ne l’a pas revu depuis. Ils ont fouillé les alentours de Chaumont, jusque dans les villages les plus proches ; les recherches sont vaines, Maurice reste introuvable.

Ça fait plusieurs années que cet épisode s’est produit, le platane est plus beau que jamais et aujourd’hui encore il n’est pas rare de rencontrer à la nuit tombée, ou même le jour, un vieux monsieur assis au pied du vieux platane.

Liancourt Saint Pierre

Yanic Dubourg

Le vieil homme et le platane, retour aux sources

Le vieil homme et le platane, retour aux sources

Tag(s) : #au-delà des contrées, #Fantastique, #nouvelles
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