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Pour une dernière cigarette

Voici une nouvelle que vous pouvez retrouver dans mon recueil ''Au delà des contrées'', nouvelle écrite en 2013.

     Alexandre descend l’escalier de son immeuble quatre à quatre avec la ferme intention de se tirer loin de tout ce bordel ; étant donné son âge, il ne peut les descendre au moins deux par deux. Il traverse la route d’un pas décidé pour ce rendre dans le bar en bas de chez lui. Planté devant la porte du café, il change d’avis malgré les invitations des copains un peu surpris de le trouver là, à cette heure de la journée, et se dirige vers celui qui se trouve de l’autre côté du quartier près de la gare ; il se dit comme ça que sa bonne femme ne viendrait pas le chercher à cet endroit, il entre et commande une mousse. Alexandre vit en couple avec Armel depuis 29 ans. Alexandre travaille à l’usine et ne lui reste plus qu’une paire d’année à effectuer avant la retraite. Armel est comptable dans une grande entreprise. Ils ont deux enfants pour qui ils ont tous sacrifiés pour leur permettre d’effectuer des études et ainsi d’avoir toutes leurs chances en décrochant un bon travail et d’avoir une bonne situation. Le seul bien qu’ils possèdent est un lopin de terre en Auvergne avec une petite maison dessus où ils passent leurs vacances et les grands week-ends, ils ont passé quelques années à la retaper pour qu’elle soit habitable, faisant du camping dans une vielle caravane et les enfants couchants dans des tentes ; certainement les plus belles années de leurs vies, en tout cas c’est ce qu’il croit. Ils ne sont pas riches, mais comme Alexandre aime à dire, ils ne sont pas à plaindre non plus ; dans ces temps difficiles ou l’ANPE est la plus grande entreprise de France et ou le chômage se révèle être pire que la gangrène, Alexandre et Armel se trouvent encore dans un secteur ou le travail prospère et la menace du chômage n’est pas encore à l’ordre du jour.

Aujourd’hui Alexandre s’éloigne de sa femme parce que depuis quelque temps elle lui reproche des choses, elle le soupçonne de tromperie, lui gueule dessus sans raison, Alexandre a beau courber le dos, aujourd’hui il l’a fuit comme la peste ; surtout pour éviter de faire des conneries, de la giflée ou pire de l’étrangler pour qu’elle arrête de crier de cette façon. Alors Alexandre prend la poudre d’escampette pour aller se calmer, en s’arrêtant dans ce bar pour pouvoir se poser et réfléchir. Il cherche dans sa mémoire quand Armel est devenu comme ça et en conclut que sa avait commencé après le départ des enfants quand ils ont emménagé l’un après l’autre et surtout depuis que son ainé a eut son premier enfant. Alexandre soupira bruyamment bien malgré lui et l’envie d’une cigarette le submerge à en avoir un vertige, lui qui a cessé de fumer du jour au lendemain il y a 25 ans maintenant, avait envie d’une petite ‘‘bouiffe’’ comme il disait. Cette envie ne venait pas des gens qui peuvent fumer dans le bar, puisque depuis plusieurs années il est interdit de fumer dans les bars et les restaurants. Alexandre secoua la tête pour reprendre ses esprits et repensait à son petit lopin de terre ou il avait passé de si bon moment, les barbecues improvisés, les toilettes dans l’étable, se laver dehors dans une bassine, tous ses souvenirs le faisait encore sourire. L’envie de cigarette persistait à tel point qu’il en a le gout dans la bouche, même après avoir repris une autre pression le gout persistait. Il avait arrêté de fumer il y a 25 ans pour les enfants, mais aussi parce qu’il avait quelque difficulté à gravir l’escalier qui le mène à son appartement. Pourtant Alexandre se rappel combien il aimait fumer, après un bon repas, un petit café -quand il était encore possible de fumer dans les bars- ou aussi autour d’un apéro…

Le fleuve se trouve juste en contre bas du bar et Alexandre décide d’aller faire quelque pas le long de la berge pour se changer les idées. En sortant du bar il achète un paquet de cigarette avec une boite d’allumette qu’il fourre dans sa veste. Suivant le bord de la berge d’un pas tranquille, il entend les cloches sonner midi et instinctivement son ventre se met à gargouiller, il s’assied sur un banc en admirant l’eau et les gens qui passent à sa hauteur, surtout les femmes qui commencent à ressortir les robes légères et les jupes plus ou moins courtes par ces premiers jours de printemps ensoleillé, une péniche qui passe avec une mouette posait à l’avant de la barge en guise de figures de proue. Alexandre ouvre le paquet de clope en humant l’odeur qui s’en dégage, sort une cigarette et l’allume ; la fumée envahie ses poumons et immédiatement lui fait tourner la tête de plaisir. A la hauteur de la cabine de la péniche, Alexandre spontanément, fait un signe de la main au capitaine. Après le passage du bateau, il aperçoit un petit restaurant de l’autre côté du fleuve près de la route, surpris quelque peu de ne jamais l’avoir remarqué, il remonte vers la gare et passe par le pont pour rejoindre le petit restaurant, étant donné les circonstances il n’allait quand même pas se laisser mourir de faim, machinalement Alexandre regarde vers le banc sur lequel il était installé, visiblement le coin ne doit pas être si mal que ça parce que quelqu’un avait pris sa place ; il passe la porte et s’installe pour déjeuner, de toute façon personne ne viendrait le déranger pour la bonne et simple raison qu’il n’avait pas son portable sur lui. Un petit pincement au cœur venait compromettre son méfait, c’était la première fois, en 29 ans de vie commune, qu’il faisait une escapade sans Armel, une sorte d’infidélité éphémère. Alexandre s’assied en attendant la serveuse en se perdant de nouveau dans ses pensées, il avait eu de bon moment avec Armel surtout les premières années de leur vie à deux, avant les enfants. La vie était peut-être plus facile, plus insouciante, ils avaient acheté le lopin de terre au tout début de leur mariage. À cette époque ils l’avaient eu pour une bouchée de pain comparé à ce que ça valait maintenant. Il se rappelait des premiers travaux dans la maison, de la grange ou il restait du foin et quand il faisait chaud, il passait l’après-midi dedans à faire la sieste…Armel si belle à cette époque, même encore aujourd’hui, malgré les affres du temps qui n’ont pas joué en leur faveur, Armel si belle dans le foin avec son fichu sur la tête, la naissance des seins que laissait apparaître un chemisier largement entrouvert et ses jupes légères. Il est vrai que la première année des travaux, ils passaient plus de temps dans le foin à prolonger leur lune de miel qu’à participer à la réfection de leur maison. Plusieurs personnes entraient et sortaient du restaurant et malgré tout, personne ne semble s’intéresser à Alexandre. Alexandre n’aime pas jouer les troubles fêtes et interpelle la serveuse, qui ne lui adresse pas même un regard. Au moment où Alexandre allait apostropher la serveuse, la clochette de la porte d’entrée retentit, les gens n’y prêtaient aucune attention sauf Alexandre, surpris de ne voir entrée personne. Malgré tout, quelqu’un s’approche de sa table, visiblement la personne qui avait fait tinter la clochette, puisqu’Alexandre ne l’a pas encore aperçu dans le restaurant, une femme, la quarantaine et qui apparemment le connaît.

- Bonjour Alexandre !

- Euh ! Bonjour madame.

- Je crois que nous allons passer un petit moment ensemble si ça ne vous dérange pas, puis-je m’assoir ?

Drôle d’entrée en matière, se dit Alexandre, il est vrai qu’il y a longtemps qu’il n’avait pas dragué et qu’il n’avait pas été dragué, mais au moins ça a l’audace d’être direct.

- Oui bien sûr et qu’est ce qui vous fait croire que nous allons passer un petit moment ensemble ?

- Votre nouvelle condition !

Alexandre était parti de chez lui depuis à peine 5h et des gens se trouvaient déjà être au courant de son escapade et en plus, à sa recherche, pensa-t-il.

- Vous savez je suis parti de chez moi juste pour m’aérer l’esprit et après je rentre tantôt ou ce soir, il n’y aucune condition qui on changer.

- Si croyez-moi, vous avez une nouvelle condition.

Le cerveau d’Alexandre se met en ébullition.

- C’est ma femme, il lui est arrivé quelque chose…

- Non, non, ne craignez rien, votre femme va bien…

- Alors quoi ?

- Qu’est ce qui a changé depuis que vous vous êtes levé ce matin ?

- Et bien ma femme a encore une fois piqué une crise et je suis parti.

- Et c’est tout !

- Et bien oui, à par cette envie soudaine de fumer, mais bon ce n’était qu’une faiblesse passagère de ma part que d’avoir fumé cette cigarette et…c’était tellement bon.

Machinalement Alexandre met la main au fond de sa poche pour toucher le paquet de cigarette, cette initiative le rassure aussitôt.

De l’autre côté du fleuve une voiture de police descendait le long de la berge en s’arrêtant au niveau d’une personne assise sur un banc, les gens déjeunant dans le restaurant regardaient par la fenêtre un instant sans prêter attention au déroulement de la scène. Certains des clients eurent des réflexions envers les fonctionnaires de police.

- Faut vraiment qui fassent chier tout le monde…

- Encore un pauvre clochard qui va être emmerdé…

- Au moins celui là dormira peut-être au chaud ce soir…

Alexandre aussi regarde par-dessus les gens et s’aperçoit que les policiers s’affairaient autours du banc sur lequel il était assis auparavant.

- Et cette cigarette était bonne ?

- Oh oui ! vous savez il y a des gens qui aiment manger ou boire, moi j’aimais fumer, sentir la fumer descendre dans mes poumons, avoir la tête dans une brume permanente qui me procurait un bien être sans équivalence et c’était aussi un bon moyen pour rester zen. Quand il a fallu que j’arrête, ça a été un véritable supplice. C’est sûr j’y ais gagné au change, je pouvais monter les escaliers de mon immeuble sans être essoufflé, je pouvais de nouveau courir avec les enfants et…pleins d’autres choses.

Des sirènes de pompier se faisaient entendre, ainsi que des sirènes d’ambulance qui descendaient rejoindre la voiture de police garé sur la berge. Des gens en uniforme bleu et d’autre en uniforme blanc s’agitaient autour de la personne sur le banc pendant que d’autres personnes en uniforme bleu empêchaient les badauds d’approcher de trop près. Des clients dans le restaurant se lèvent et d’autres sortent pour regarder le spectacle.

- Je ne sais pas ce qui est arrivé à la personne sur le banc, dit Alexandre, ça a l’air plutôt grave.

- Avez-vous constaté une différence depuis que vous vous êtes installé à cette table !

- Ah ben oui ! ils mettent du temps à venir nous servir.

- Oui ! évidemment

La femme fait tomber une serviette au moment ou la serveuse passait à sa hauteur. La jeune femme s’arrête net pour ramasser la serviette, regardant à la table ou étaient installé Alexandre et la femme pour essuyer une tache sur la table avec la serviette ramassé, puis repart à son service. Alexandre en reste bouche bée.

- Elle ne nous a pas vues ! elle nous a ignorées complètement ! mais comment c’est possible !

- Il y a pourtant une explication toute simple.

- Je serai curieux de connaitre cette explication, dit Alexandre sur un ton irrité.

- Regardez.

La femme se lève en frôlant la personne assise à la table d’à côté se mettant à frissonner instantanément.

- Et ben qu’est-ce qui t’arrive Norbert ?

- J’ai eu un de ces foutus frisson.

- Chez nous en Bretagne on dit que c’est la mort qui nous passe dessus, dit son voisin de table et tout ce petit monde part dans une franche rigolade.

- Comment avez-vous fait ça…sans qu’il puisse vous voir ! dit Alexandre.

- C’est magique, dit-elle en riant, cela fait parti de votre nouvelle condition.

 

Les policiers prenaient des photos pour les besoins de l’enquête de la personne toujours assise sur le banc, ainsi que les ambulanciers, la scène qui se déroulait devant leurs yeux était loin d’être conventionnelle et méritait d’être immortalisée.

 

- La personne qui se trouve sur le banc est décédé d’un AVC, vous savez ce qu’est un AVC ?

- Oui, un truc qui casse dans le cerveau.

- En quelque sorte et cette personne…

 

La personne sur le banc était décédé dans cette position, assise les jambes croisées, tenant une cigarette entre ses doigts, les mains croisées posaient sur ses jambes et le regard perdu loin devant lui. La cigarette c’étant consumée toute seule et les cendres étaient tombées dans le creux que formaient ses jambes croisées. Plusieurs personnes étaient pourtant passées près de lui, sans se rendre compte qu’il était mort, ce fut quelqu’un promenant son chien qui l’avait découvert en passant devant pour la deuxième fois en rentrant de sa balade.

 

- …à repris une cigarette pour la première fois depuis 25 ans.

- Tiens tout comme m…vous voulez dire…que le types sur ce banc…et bien c’est moi !

- Oui absolument et c’est pour cette raison que nous allons passer un petit moment ensemble.

- Oh ! et vous croyez que je pourrais finir le paquet que j’ai dans ma poche ? et ma femme ? quand elle va apprendre la nouvelle !

- Ne vous inquiétez pas pour votre femme, il y a vos enfants et vous pouvez fumer autant que vous voulez maintenant.

- Comme nous allons nous côtoyer pendant un petit moment, puis-je savoir comment vous vous appelez ?

- Gisèle

Alexandre se renverse sur sa chaise et allume une cigarette, il laisse échapper de sa bouche une énorme volute de fumée.

Yanic Dubourg

Liancourt Saint Pierre

Ecrit le 4 février 2013

 

Tag(s) : #au-delà des contrées, #nouvelles
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